Franco Zeffirelli

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Maria Callas et Titto Gobbi dans Tosca, 1964

Hildegard Behrens dans Tosca, 1985

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Il existe à cet égard un témoignage vidéo tout à fait saisissant du renouvellement dont sait faire preuve Franco Zeffirelli dans ses mises en scène, en fonction du moment, mais surtout des artistes lyriques qui tiennent les principaux rôles. Ce témoignage concerne le second acte de Tosca dont il existe deux versions très différentes l'une de l'autre. La première a été enregistré à Covent Garten en 1964 et met en scène Maria Callas (Tosca), Tito Gobbi (Scarpia), Renato Cioni (Mario Cavaradossi); la seconde, extraite d'un enregistrement complet au Metropolitan Opera de New York, en 1985, met en scène, toujours sous la direction de Zeffirelli, Hildegard Behrens (Tosca), Cornell MacNeil (Scarpia) et Placido Domingo (Cavaradossi).

Abstraction faite de tout autre considération, notamment en termes de qualités vocales et orchestrales, la différence du jeu scénique est spectaculaire, dans le cadre d'un décor quasiment similaire à quelques détails près. Dans la version de 1964, le personnage de Tosca, porté par Maria Callas, apparaît dans toute sa fragilité, sa vulnérabilité face à Scarpia. Et après le meurtre de celui-ci, c'est une petite fille prise de terreur qui s'agite en tout sens, submergée par la panique et par l'horreur de son geste, au bord de l'effondrement sur un plan moral - le crucifix qu'elle dépose sur la poitrine de Scarpia lui brûle littéralement les mains. Cavaradossi, quant à lui, apparaît en revanche très au second plan. Face à l'impérieux Tito Gobbi, il ne fait pas le poids. D'où une tension supplémentaire, quasiment érotique, entre Scarpia et Tosca. A ce propos, Zeffirelli a du reste noté, dans ses Mémoires :

«J'expliquai à Maria Callas que je considérais les relations entre Tosca et Scarpia comme la clef de voûte de la structure dramatique de l'œuvre. la possibilité de disposer d'une personnalité aussi pleine de charme, aussi fascinante que celle de Tito Gobbi rendait ces relations encore plus complexes: pour moi, Tosca est une créature passionnée, instinctive, et non cette diva à cravache,  rigide, hautaine, caparaçonnée et emplumée que l'on représente généralement. Ma Tosca, une Tosca du genre d'Anna Magnani, charnelle, sensuelle, ne pouvait  que se sentir attirée par un homme séduisant, même si le cœur de ce partenaire est de pierre. Sans qu'elle s'en rende compte, loin de susciter sa haine, Scarpia attire mystérieusement Tosca, par le pouvoir qu'il détient, par la cruauté même dont elle le sait capable. En réalité, si Tosca finit par poignarder Scarpia, elle agit tout autant pour se protéger d'elle-même que pour protéger son amant.»

A l'exception de Scarpia, égal à lui-même, bien qu'interprété, cette fois, par Cornell MacNeil, Tosca tout autant que Cavaradossi apparaissent sous un jour très différent, dans la version de 1985. Ici, à aucun moment, la "petite fille" ne transparaît derrière l'interprétation de Tosca par H. Behrens; c'est une femme, une femme tantôt farouche, tantôt passionnée, tantôt désespérée, mais toujours pleinement femme, jusque dans le meurtre de Scarpia, beaucoup plus sauvage et brutal que dans le version précédente, mais sans la terreur et la panique qui saisissaient la Tosca de Maria Callas. Le geste est ici assumée, pour ainsi dire signé : le crucifix ne brûle pas les mains de Tosca qui ne fait que sursauter, sur la musique, à l'instant où, devant le corps de Scarpia, elle fait le signe de croix.

Cavaradossi, servi cette fois par la forte personnalité de Placido Domingo acquiert quant à lui un  relief qu'il n'avait pas en 1964, servi par Renato Cioni, face à Scarpia, à qui il tient tête, ici, avec une superbe étonnante, une fierté provocante. Au personnage de pure victime s'est substitué un rebelle qui assume pleinement sa rébellion en présence du pouvoir incarné et le pousse dans ses ultimes retranchements. La tension entre les deux hommes devient dès lors palpable et répond en quelque sorte à la tension entre Tosca et Scarpia, comme si la conscience diffuse de leur rivalité était sous-jacente à leurs gestes et à leurs paroles.

Deux mises en scène réalisées par le même metteur en scène à vingt ans d'intervalle; et pourtant deux approches radicalement différentes des personnages... C'est ainsi que la mise en scène se hausse de plein droit au statut d'art, sans avoir besoin pour cela d'avoir recours à quelque excentricité bien davantage destinée à "faire l'événement" qu'à servir l'œuvre présentée. «En matière d'idées révolutionnaires, a écrit Zeffirelli, le metteur en scène ne saurait revendiquer qu'un seul mérite, celui de trouver dans une oeuvre ce que l'auteur y a mis et que personne, depuis, n'a pris la peine de chercher.»

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Décor pour Tosca