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«Luchino - nous en arrivâmes vite aux prénoms - me convia plusieurs fois à dîner avec lui après les répétitions. Des repas courtois, divertissants, en tête à tête. Quand il ne me faisait ppas raconter mon histoire, je l'écoutais, fasciné, évoquer les réminiscences d'un mode de vie bien éloigné de mon expérience petite-bourgeoise. Sans nulle vantardise, d'ailleurs : ce n'était pas son genre. Luchino ne cherchait pas à vous éblouir, il supposait tout simplement que, vous aussi, vous aviez vécu en compagnie de têtes couronnées... Aujourd'hui, nous sommes moins sensibles, peut-être, au prestige de l'aristocrate raffiné, mais, en 1946, le comte Visconti, suprêmement élégant, impeccablement soigné, était un plaisir en soi. Sa propre assurance vous confortait. Détail futile, la première chose que je remarquai dans la mise de Luchino Visconti ne fut ni sa pochette de soie, ni sa cravate de Paris, mais son eau de toilette. Lors de notre deuxième rencontre, je poussai l'impertinence jusqu'à lui en demander le nom : - "Hammam Bouquet", répondit-il. Un très ancien parfumeur de Londres, Penhaligon, la fabrique pour une petite élite de clients. Les rois d'Angleterre l'utilisent depuis plusieurs générations et, de temps à autre, quelques privilégiés parviennent à s'en procurer un ou deux flacons.» (Extrait de Portrait d'un homme du siècle, p.100 ) |
«[C'est en 1959, à l'occasion de la production de Lucia di Lammermoor] que je pus enfin explorer Londres tout en réfléchissant à ma mise en scène. Comme je le prévoyais, la capitale anglaise gardait un charme délicieusement suranné, sans rien de la pompe de Paris ou de Rome. Peut-être le secret de cette continuité tenait-il au fait que la monarchie la plus puissante du monde fût logée ausi modestement, en comparaison de Versailles ou du Vatican. J'aimais l'atmosphère villageoise de la plupart des quartiers de la ville, leur discrétion, leur respect de l'échelle humaine. Quand on vient du sud de l'Europe, comment ne pas être séduit par la netteté des clairs-obscurs, par la délicatesse des ombres sur les balcons et les corniches tandis que le soleil, bas sur l'horizon, jette cette lumière si particulière aux pays nordiques. Je pensais à Mary O'Neill. Elle eût été bien amusée de me voir, en Angleterre, mettre en scène une soprano australienne (Joan Sutherland) dans un opéra italien qui se passe en Écosse. [...] Entre les répétitions, je prenais le temps de faire une foule de choses, à la fois minimes et importantes : une visite à la National Gallery, un course à Old Bond Street pour acheter du Hammam Bouquet à l'intention de Luchino... Les deux messieurs distingués qui fabriquaient le Hammam Bouquet dans leur boutique d'Old Bond Street étaient plus anglais que nature. Gérée de manière archaïque, leur maison périclitait, mais ils se sentaient obligés de poursuivre leur activité à cause du Prince Philip. Depuis de génération, la famille royale utilisait les produit de Penhaligon: ils ne pouvaient laisser choir le mari de leur présente souveraine...» |
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Dans une autre page de ses Mémoires, Franco Zeffirelli raconte également, toujours à propos du Hammam Bouquet, que pour La Somnambule, l'opéra de Bellini (Scala de Milan, 1955), Luchino Visconti se servit en somme du parfum comme pour donner une indication scénique à La Callas, celle-ci devant à un certain moment avancé sur un pont ruiné à l'une de ses extrêmités, à plusieurs mètres au-dessus du plateau... «Le plus grand problème de Maria, dont, bien souvent, même ses admirateurs les plus fidèles ne prenaient pas conscience, était sa vue. Sans ses lunettes, le monde lui apparaissait enveloppé dans un brouillard terrifiant dans lequel, une fois seule en scène, elle devait se débattre. Pour la scène où elle jouait la somnambule, dans l'opéra du même nom, Luchino avait posé un mouchoir trempé d'Hammam Bouquet à l'endroit où Amina doit s'arrêter pour ne pas tomber dans le vide, de manière que Maria pût se repérer à l'odeur...» (p.193) |
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