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- I -

UN STYLE

Le style fait l'artiste. Il n'y a pas à sortir de là. Que l'on y soit sensible ou non est une tout autre affaire - éminemment personnelle; mais un style ne peut en aucun cas se transformer en «absence de style» sous le seul prétexte qu'on n'apprécie pas la manière propre à un artiste. C'est pourtant ce qu'on serait tenté de croire, à la lecture des commentaires venimeux que valent à Franco Zeffirelli ses productions lyriques, théâtrales ou cinématographiques, de la part d'une frange de la critique. Comme lui-même l'a noté, non sans amertume, dans son autobiographie : «Ils constituent un clan, une nouvelle église. Ils ont toujours le mot de liberté à la bouche, mais ils érigent l'intolérance en vertu. Qui est avec eux , quelque sottise qu'il dise ou fasse, a droit à l'éloge, à la protection, à la prébende. [...] Mais ce que je regrette le plus, dans la petite guerre que me livrent les critiques, c'est qu'ils se privent - et qu'ils me privent - d'un rôle que je considère comme capital. De même qu'un enfant a besoin d'éducateurs qui lui adressent des reproches et le corrigent, de même un créateur a besoin de critiques exigeants, mais sincères, capables de lui renvoyer, comme un miroir, ses imperfections et ses erreurs. Objectivement : sans concession mais sans préjugé.» (P.448)

Il est pourtant bien un «style Zeffirelli», à nul autre pareille, qui ne tient pas seulement à l'esthétique du cadre, laquelle est beaucoup plus diverse et variée qu'on veut bien le faire croire habituellement (que l'on songe à l'esthétique de deux films comme Toscanini et Hamlet, pour prendre deux exemples extrêmes), mais principalement, à la manière qui lui est propre de mettre en scène

«A la fois somptueux et mesuré, avec un parti partis avoué de théâtralité», c'est ainsi qu'en 1962-63 fut défini pour la première fois le style de Franco Zeffirelli, à l'occasion de la production milanaise d'Aïda présentée - paradoxalement - dans des décors non pas du metteur en scène lui-même, mais dans des décors dessinés par la grande Lila De Nobili, d'après ceux, originaux, de 1871, commandés à Paris pour la cérémonie destinée à marquer au Caire l'inauguration du canal de Suez. Et, commentant cette production, Zeffirelli souligne : «Prendre l'opéra au pied de la lettre, rechercher la complexité des rapports psychologiques au travers d'un prétendu réalisme représente pour moi une conception que j'ai toujours trouvée profondément ennuyeuse. Pour moi, les vérités que l'opéra est susceptible de transmettre passent au contraire par son refus du réalisme. De petits bonhommes en armure et de grosses dames en atours chantant des couplets sur l'Égypte antique ne disent pas grand-chose, quand on les envisage au premier degré. C'est grâce à la musique et à la splendeur du décor qu'ils peuvent nous transporter, nous révéler les débats du devoir et du sentiment, les conflits du pouvoir et de la pitié, que rien ne saurait traduire de manière aussi émouvante.»

 

 

 

Il est vrai que Franco Zeffirelli s'en est tenu sur bien des plans, au cours de sa longue carrière de metteur en scène, aux leçons reçues du temps de sa collaboration avec Visconti au théâtre comme sur les plateau de cinéma. Il notera d'ailleurs à ce propos, dans son autobiographie :

«Luchino m'avait révélé le domaine de la création, à la scène comme à l'écran. Il m'avait montré comment concevoir un projet et lui donner pour cadre l'environnement culturel correspondant. [...] Sa manière (Une des grandes leçons que je reçus de lui) consistait à rester fidèle à la conception originale du texte, dont il s'attachait à restituer le moindre détail, avec encore plus de soin et de fidélité sans doute qu'à la création. [...] S'il devait diriger une pièce de Goldoni, il lui fallait tout trouver sur la Venise du XVIIIe siècle. [...] Nous passions des soirées entières dans la bibliothèque, à regarder des livres d'art ou à dénicher des objets chez les brocanteurs - n'importe quoi, en fait, qui nous aidât  à nous immerger dans la période considérée. Ce que je lui dois le plus, c'est cette façon de travailler : le type même de "réalisme" que j'admire. Sa réputation d'homme de théâtre expérimental ne provenait que de son goût pour les pièces nouvelles ou récente - notamment américaines - mais, même alors , ses mises en scène n'avaient rien à voir avec les conceptions d'avant-garde. »

Pourtant, après une période de grands succès, au cours de laquelle Franco Zeffirelli a affirmé petit à petit son style propre, tant au cinéma que les scènes théâtrales et lyriques, les critiques ont commencé à pleuvoir sur ses productions, comme si une rupture s'était opérée. Et sans doute est-ce le cas. Mais la rupture n'est pas venue de Zeffirelli qui, contre vents et marées, est demeuré fidèle à lui-même; elle est venue de l'évolution qu'a connu une certaine culture occidentale à partir du début des années 70, tant à l'écran que sur les scènes théâtrales et lyriques où une nouvelle génération de metteurs en scène est alors apparue, dont la grande force consista à réussir à imposer au public  - au sens propre du terme, dans bien des cas ! - une conception au terme de laquelle se trouva privilégiée la réflexion intellectuelle empreinte d'interprétations d'ordre social, politique ou idéologique, au détriment du spectacle et à de l'émotion.

A l'époque où se produisit cette rupture  - qui, peut-on estimer, coïncide grosso modo avec l'échec de Fratello Sole, Sorella Luna (François ou le Chemin du Soleil) (1971) - , un autre cinéaste en fut victime, en la personne de David Lean, avec son film - superbe - La Fille de Ryan (1970)descendu en flèche par la critique, tandis qu'Easy Rider se voyait porté aux nues...

Dès lors, les affrontements qui se produisirent à l'occasion entre deux catégories de public ou deux catégories de critiques portèrent moins souvent sur les oeuvres présentées que sur leurs mises en scène - que l'on songe par exemple ici aux très violentes polémiques  que suscita la production Chéreau/Boulez de L'Anneau du Nibelung de Wagner, à Bayreuth, en 1976... ou aux productions mozartiennes de Peter Sellar au festival de Glyndebourne...