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1- LE TOURNAGE

(Extrait de PORTRAIT D'UN HOMME DU SIÈCLE)

«Pararmount, alors, appartenait à Gulf & Western, la grande société pétrolière. Les financiers fixèrent le budget du film à la somme dérisoire de 800.000 $. Résolu à tourner ce film à tout prix, j'acceptai, quelque peu téméraire. Le cinéma impose plus de précautions que le théâtre, en raison des sommes considérables qui sont enjeu: même pour un Film à petit budget comme le mien, l'absence à l'affiche du nom d'une grande vedette représentait un risque insensé. De plus, les gros plans dont le cinéma fait un large usage ont pour conséquence de tout exagérer et il fallait que les comédiens qui tiendraient les premiers rôles fussent d'une beauté et d'un talent exceptionnels pour soutenir ce défi. Je n'avais, certes, que l'embarras du choix. Quand ce bruit se répandit que nous recherchions les parfaits Roméo et Juliette, tous les imprésarios, tous les pères, toutes les mères se précipitèrent pour nous présenter leurs clients, leurs fils et leurs filles.

«[...] En ce qui concerne le garçon, le problème fut plus simple que je ne le craignais. Lila De Nobili, qui se trouvait à Londres afin de réaliser les décors d'un spectacle de Peter Hall à Stratford, me téléphona pour me signaler un jeune acteur du nom de Leonard Withing. Dès que je le vis, je sus qu'il serait l'interprète idéal. Dans ce style troubadour que les années 60 avaient remis à la mode, il était splendide. Il avait probablement du talent et, à ce qu'il me parut lors de notre rencontre, beaucoup d'ambition.

La fille posait un problème plus difficile. J'avais rencontré Olivia Hussey lors des premières auditions. Cette comédienne ne man­quait pas de talent mais, malheureusement, elle était trop grosse, quelque peu empotée et se rongeait les ongles., Ma préférence allait à une très belle fille qui se détachait du lot par sa chevelure sensationnelle, une véritable cascade d'or qui constituait son principal atout. Un mois plus tard, je lui demandai de revenir pour une seconde audition, mais, quand elle parut, mon cœur chavira. Elle avait cédé à la montée de la mode des coiffures « unisexes » et coupé ses boucles dorées. Elle ressemblait à un garçon. J'en aurais pleuré: non seulement je perdais ma Juliette, mais, de son côté, elle manquait la chance de sa vie. [...] En désespoir de cause, je convoquai de nou­veau plusieurs des comédiennes que j'avais précédemment écartées, et je rencontrai, ainsi, à ma grande stupeur, une Olivia Hussey complètement transformée. Je découvrais une autre femme: considérablement amincie, avec ses grands yeux expressifs et sa silhouette anguleuse, elle collait au personnage de Juliette, cette jeune fille encore maladroite, impatiente de vivre sa vie.

Le premier tour de manivelle fut donné le 29juin, à Tuscania, une ville splendide à une cinquantaine de kilomètres de Rome. De là, nous allâmes à Pienza, près de Sienne, puis à Gubbio. Après une semaine de pause en août nous reprîmes le tournage jusqu'à la mi-octobre. Cette période - dont la durée se situe d'ailleurs dans la moyenne, pour la profession - n'en représenta pas moins une longue expérience de vie en groupe avec, on l'imagine, la somme de tensions qui en découle inévitablement.

PIENZA

GUBBIO

«Je remplis ainsi le rôle du père d'une bande de gosses, qu'il me fallait aider sur le plateau comme en dehors de celui-ci. Plus encore que les autres, Olivia Hussey réclamait mon assistance: issue d'un ménage désuni, en quête d'un personnage qui lui tint lieu de père, elle se laissait admirablement diriger. Leonard Whiting, quant à lui, représentait en revanche le type même de l'adolescent en pleine crise d'originalité juvénile. Je devais toujours commencer par le laisser faire, me montrer patient et n'intervenir qu'en cas de défaillance. Avec lui, mes relations tenaient du corps à corps: il redoutait avant tout d'apparaître aux yeux des autres comme une marionnette entre mes mains. Aussi ne manquait-il jamais de se vanter de son expérience. Cette attitude se trouvait exacerbée par le fait qu'il ne m'était jamais nécessaire de rappeler à Michael York, ou à John McEnery - qui tenait le rôle de Mercutio - ce qu'ils avaient à faire. Leonard ne cessait de s'en irriter et je dus lui faire remar­quer, avec fermeté, que l'expérience des autres comédiens était bien plus considérable que la sienne. Mieux valait, lui conseillai-je, s'abstenir de telles comparaisons, qui ne sauraient tourner qu'en sa défaveur.

Ce défaut mis à part, personne ne ressembla jamais plus que lui à Roméo: de toute ma carrière, je ne vis adolescent aussi beau.»

   

LEONARD WHITING

COMMENTAIRE & ANALYSE